Les corps non-évidents : Gueules cassées d’Agnieszka Podgórska



Les corps non-évidents : Gueules cassées d’Agnieszka Podgórska

         Le nouveau cycle d’objets-masques réalisé par Agnieszka Podgórska est inspiré par des images photographiques de visages de soldats  défigurés durant la Première Guerre mondiale. Nommées les Gueules cassées et effectuées en tant que documentation médicale, ces images ont montré des vues frontales de visages masculins qui ont subi des mutilations graves déformant leurs traits et contours et qui furent ensuite soumis aux traitements différents ayant pour but la reconstruction de leurs physionomies fortement endommagées durant les opérations belliqueuses. Dans les travaux de Podgórska l’aspect monstrueux de ces corps qui domine des photographies de mutilés disparait. Les traits de visage construits par plusieurs couches de papier fin et de tons de couleurs légèrement différenciés créent des associations avec des images cartographiques de collines et de convexités de terrain. Ils deviennent un point de départ et un prétexte pour donner des paramètres aux volumes successivement de plus en plus abstraits.

         En s’inspirant de cette documentation photographique des traitements médicaux, l’artiste révèle l’aspect sculptural des visages de soldats premièrement déformés par des blessures de guerre et ensuite  « réparés » selon les possibilités de la chirurgie esthétique de l’époque assez peu avancée et souvent ne permettant pas à ces soldats de « retrouver » leur visage. Ainsi les masques de Podgórska retracent des contours de figures à volumes qui ne sont pas évidents : déformés et déchirés, brisant avec les codes de représentation de visages humains.

          La lecture du corps humain compris dans des termes de l’abstraction est présente également dans des travaux précédents de cette artiste essayant de discuter des problèmes classiques de l’art et de l’esthétique comme  l’acte, l’autoportrait ou dans ce cas le portrait anonyme. L’artiste s’inspire de manière directe de ces images datant de la Première Guerre mondiale, néanmoins sa réinvention de modes de la représentation du corps acquiert des significations liées à l’image du corps humain d’aujourd’hui. Le cycle de Podgórska constitue la réponse aux images des violences esthétisées par des medias. Les masques abimés font penser à la photographie de Jodi Bieber présentant la jeune fille Afghane  dont le mari abandonné lui a coupé le nez dans l’acte de vengeance. 

           L’artiste touche aussi des questions de transformation du corps humain. Elle discute le changement d’image de celui-ci qui est le résultat de la popularisation des pratiques de la chirurgie esthétique d’aujourd’hui. Ces travaux constituent une critique de l’image médiatisé du corps humain : construit d’une manière artificielle et fréquemment grossière, devenu souvent, dans la quête pour la perfection, sa propre caricature.

Katarzyna Cytlak

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